LES PROCÈS MILITAIRES 1945

LES PROCÈS MILITAIRES 1945

PROCES DE LA BANDE BONNY-LAFON DÉCEMBRE 1944

Le proces de la bande Bonny-Lafon décembre 1944

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Henri Chamberlin dit Lafont en 1944

Henri Lafont, de son vrai nom Henri Louis Chamberlin, est né dans le 13e arrondissement de Paris le 22 avril 1902 et mort fusillé au fort de Montrouge à Arcueil le 26 décembre 1944. Durant la Seconde Guerre mondiale, il fut le chef de la Gestapo française (la Carlingue) sous l’occupation allemande. Henri Lafont grandit dans un milieu populaire, son père étant ouvrier clicheur et sa mère journalière. Son père décède en 1913 et sa mère l’abandonne le jour même de l'enterrement. Livré à lui-même à l'âge de 11 ans, il traîne souvent dans le quartier des Halles à Paris. À l’adolescence, il exerce de nombreux métiers, de manœuvre à coursier.

En 1919, il vole la bicyclette de son patron qui lui a confisqué un pourboire (5 francs, pour lui : une journée de salaire). Il est rapidement arrêté et passe devant le tribunal pour enfants qui le condamne à la maison de correction jusqu'à sa majorité. À sa sortie, on l'incorpore au 39e régiment de tirailleurs algériens. Au cours de ces deux années de service militaire, signalera lors de son procès en 1944 son avocat, Mr Floriot, il n'a pas eu une seule punition. Rendu à la vie civile, il se met en ménage avec une jeune femme qui deviendra sa femme plus tard. Il voyage à travers la France, de Chambéry au Havre en passant par Marseille. À Marseille, il achète une camionnette d'occasion et se fait transporteur. Un jour, on lui confie une voiture à dépanner. Malchance, il s'agit d'une automobile volée. Les gendarmes la retrouvent chez Lafont. Malgré ses protestations, il passe en correctionnelle. Verdict : deux ans de prison, assortis de dix ans d'interdiction de séjour. Il se marie à la maison d'arrêt de la ville d'Aix-en-Provence le 26 avril 1926 à Rebecchi Arzia, avec qui il aura deux enfants, Pierre et Henriette.

À sa sortie de prison, il mène une vie misérable : faux nom, travaillant clandestinement, au ban de la société. Puis il se fixe à Saint-Jean-de-Maurienne où il trouve un autre emploi. Malheureusement pour lui, pour rejoindre un autre homme, sa femme vole 2 000 francs dans la caisse du magasin qui l'emploie, provoquant ainsi son arrestation. Pour les magistrats, c'est un repris de justice, donc on prononce contre lui une condamnation accompagnée de relégation, ce qui signifie qu'il est envoyé au bagne. Ne voulant pas finir ses jours à Cayenne, il s'évade et se cache, puis change de nom à plusieurs reprises (Norman, puis Lafont).

De Chamberlin à Lafont

Au début de 1940, Chamberlin s’appelle Lafont, il est gérant d’un garage Simca à la Porte des Lilas où il noue quelques contacts avec des policiers. En mars, il réussit à devenir gérant du mess de l’Amicale de la préfecture de police. Il choisit après cela de s'engager, mais on lui demande ses papiers, il dit les apporter le soir même. Le soir, deux gendarmes tentent de l'arrêter, il s'enfuit. Puis il s'engage dans une brigade appelée les volontaires de la mort pas trop regardante sur le passé des recrutés. La brigade est dissoute deux mois plus tard. Le voilà donc sur le pavé parisien où il est arrêté pour insoumission. En juin, il est emprisonné à la prison du Cherche-Midi, mais comme la Wehrmacht approche, il est transféré au camp de Cepoy. Dans le camp, il y a de tout, y compris des Allemands internés à la déclaration de guerre. Il se lie avec deux d'entre eux, ainsi qu'avec un Suisse, Max Stocklin. Ils aident Lafont à s'évader du camp.

Pourquoi ne pas travailler avec nous ?

Ces trois personnes font partie de l'Abwehr et, comme elles sympathisent avec Lafont, elles lui proposent de venir avec eux à Paris. Nos services viennent d’arriver à l'Hôtel Lutetia. Pourquoi ne pas travailler avec nous ?

Lafont dira plus tard à l’un de ses avocats : Au début, cette histoire d’Allemands ne me plaisait guère. Si les gars d’en face, les résistants, m’avaient proposé quelque chose, je l’aurais fait. Il n’y a pas de doute. Et je n’aurais pas fait de cadeaux aux fritz ! Seulement voilà, à l’époque, des résistants, je n’en ai pas connu, je n’en ai pas vu la couleur. Je ne savais même pas ce que c’était. C’est à cela que tient le destin d’un homme : un petit hasard, une histoire d’aiguillage. Ou alors c’est la fatalité !

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Il est installé par l'agent Max Stocklin, rue Tiquetonne dans un bureau d’achats pour le compte de la Wehrmacht. Il achète toutes sortes de produits, des vêtements aux meubles en passant par les denrées alimentaires. Les affaires marchent si fort qu'il ouvre un second magasin rue Cadet et un troisième rue du Faubourg-Saint-Antoine. Il joue les utilités et se fait remarquer par Hermann Brandl agent spécial de l'Abwher et le capitaine Wilhem Radecke de la Wehrmacht. Les affaires marchent bien, mais les locaux deviennent exigus. Il déménage deux fois pour finalement s’installer au 93, rue Lauriston. Avant-guerre, l’immeuble est la propriété de Mme Weinberg. Lafont décide de s’entourer d'hommes de confiance, prêts à tout. Où les trouver ? En août 1940, en compagnie de Radecke, il va à la prison de Fresnes muni d’un laissez-passer. Il choisit vingt-sept hommes : T’es libre!, mais tu m’appelleras patron.

Quelques jours plus tard, grâce à un rapport rédigé par Brandl et Radecke, il intègre la police allemande sous le matricule 6474 R. Les petits chefs de la collaboration font des discours, moi j'agis. Vous jugerez sur pièces, dit Lafont à Radecke.

Mais Branld et Radecke ont un chef, le colonel Reile, dit Rudolph. Lui n'apprécie pas que l'on donne tant d'importance à un repris de justice. Quand il apprend la libération des 27 détenus de la prison de Fresnes, il ordonne au capitaine Schaeffer d'arrêter Lafont. Radecke prévient Lafont et lui propose de retrouver l'un des chefs de la résistance antinazie, le Belge Lambrecht recherché par l'Abwehr, s'il le capture tout sera pardonné !

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Marcel André Henri Félix Petiot 1897-1946

Il part à Bordeaux. Après quelques nuits de beuveries dans les bars de la ville, un policier lui indique que Lambrecht est à Toulouse et lui donne même l'adresse. Retour à Paris pour prévenir ses supérieurs allemands et avoir carte blanche. Il descend à Toulouse où il arrête Lambrecht, aidé par Robert dit le fantassin, de Hirbes dit la rigole et Estebéteguy dit Adrien la main froide ou Adrien le Basque (qui finira ses jours dans les chaudières du docteur Petiot), le ramène à Paris au siège de la Gestapo, dans le coffre de sa voiture, pieds et poings liés. Là, il le torture de ses propres mains. Le résultat aboutit à l'arrestation d'un réseau de 600 personnes.

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Pierre Bonny 1895-1944  fusillé le 27 décembre

Tout le monde est à vendre, il suffit de savoir acheter. Sa bande se compose d'une centaine de permanents sur lesquels il règne en maître. Il instaure un système d'amendes pour ceux qui feraient des écarts aux règles édictées, pouvant aller jusqu'à la peine de mort.Il n'y a pas que des gangsters et autres malfrats, mais aussi des policiers, dont le plus connu, l'ancien premier policier de France Pierre Bonny, devient le second de Lafont.

Échec à Alger

Vers la fin de l'année 1940, Hermann Brandl demande à Lafont de faire passer un agent de liaison en Afrique du Nord pour y installer un émetteur clandestin en communication avec les services allemands. Lafont s'installe avec son équipe au Cap Doumia près d'Alger. Mais deux des complices sont arrêtés par la police et la mission échoue. Lafont est condamné à mort par contumace.

Affairisme et tortures

Les activités exercées prennent plusieurs directions dont, la lutte contre la Résistance avec, à l'actif de la bande Bonny-Lafont, de nombreux réseaux démantelés.

Ces services excellent dans les interrogatoires : arrachage des ongles, limage des dents, nerf de bœuf, coup de poing, de pied, brûlure à la cigarette ou à la lampe à souder, mais aussi le supplice de la baignoire glacée, de l’électricité, etc. Début 1942, il s'entend avec le Devisenschutzkommando (DSK) (Détachement pour la mise en sûreté des devises), installé au 5, rue Pillet-Will, qui est chargé des devises et de la lutte contre le marché noir. Dans les trafics, il obtient jusqu’à 20 % de commissions.

Il s’agit de s’introduire dans la bonne société, de mettre en confiance ses interlocuteurs, de se concentrer sur les personnes ayant des ennuis et désireuses de cacher de l’argent en Suisse ou d’obtenir des laissez-passer. Lors du rendez-vous, les membres de l’équipe sortent leur carte de police allemande ou française et négocient le rachat de devises, d’or, de meubles à des prix bradés. Quand il s’agit d’un Juif, tout lui est confisqué, puis il est emmené au SD de l’avenue Foch. La chasse aux trafiquants est des plus motivantes car très lucrative pour les permanents. Les trésors s’accumulent rue Lauriston ; un jour de décembre 1942, Lafont partage le butin de l’ancienne ambassade US, composé de vaisselle de luxe, avec les principaux chefs allemands de Paris.

Henri Lafont mène une grande vie, une revanche sur sa jeunesse, ce qui lui procure une jouissance de voir des gens importants lui faire des demandes. Il organise beaucoup de soirées mondaines où il multiplie les contacts et devient incontournable grâce aux faveurs qu’il distribue. Pour distraire ses chefs, il les emmène dans les grands cabarets et établissements de nuit de la capitale dont l’One-Two-Two. Ayant obtenu la nationalité allemande avec le grade de capitaine, il fait la tournée des établissements de nuit parisiens en uniforme allemand, ce qui déplait aux services de renseignement de la Wehrmacht.

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Amédée Bussière 1886-1953

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Il y a beaucoup d’habitués du  93, comme le préfet de police Amédée Bussière, le journaliste Jean Luchaire, l’actrice et sa fille, ainsi que beaucoup de femmes appelées les comtesses de la Gestapo.

Paradoxalement, les rapports avec les collaborationnistes sont plutôt mauvais. Fernand de Brinon refuse d’entrer dans les combines de Lafont. En 1943, la bande inflige de lourdes pertes au réseau Défense de la France dont une soixantaine de membres sont arrêtés. Cependant, Défense de la France survit à ce coup dur. Parmi les personnes arrêtées se trouve Geneviève de Gaulle, nièce du général, arrêtée le 20 juillet 1943 par l’ancien inspecteur Bonny au 68, rue Bonaparte. Elle est enfermée dans un hôtel particulier, réquisitionné en juin 1940 par Radecke, au 3 bis, place des États-Unis, dont le propriétaire a fui à New York. Lafont s’en sert comme entrepôt de marchandises et, au printemps 1943, Karl Bömelburg fait aménager aux derniers étages des cellules avec barreaux.

On ne peut parler de Henri Lafont sans évoquer ses opérations punitives sanglantes contre les maquis avec sa troupe œuvrant sous l’uniforme milicien, nommée Brigade nord-africaine, puisque composée essentiellement d’hommes originaires d’Afrique du Nord. La Brigade nord-africaine est créée au début de l’année 1944 par Henri Lafont et le nationaliste algérien Mohamed el-Maadi (ancien officier français membre du mouvement d’extrême-droite la Cagoule). La brigade prend part à des combats contre la résistance intérieure française, en Limousin (trois sections participent aux combats contre le maquis de Tulle), en Périgord (une section) et en Franche-Comté (une section). La légion est dissoute en juillet 1944 quand la troupe se disperse. Certains des anciens membres suivent Mohamed el-Maadi en Allemagne et d’autres rejoignent la SS Freies Indien Legion.

La guerre des Gestapos

Le problème de Lafont est qu’il doit partager et composer avec d’autres gestapistes parisiens. Les frictions et les règlements de comptes parfois mortels, sont constants. Il y a la bande des Corses dont l’indiscipline agace Lafont. Beaucoup d’incidents l’opposent à la Gestapo de Neuilly dirigée par Frédéric Martin alias Rudy de Mérode connu pour être l’un des plus dangereux gestapistes, un temps associé avec Gédéon van Houten. La bande à Lafont finit par arrêter des hommes de Mérode et les envoyer en déportation pour se débarrasser d’eux.

La fin de la guerre

En août 1944, les gens compromis dans la collaboration fuient Paris vers l’Allemagne, Sigmaringen, Baden-Baden, Steinhorst. Mais Lafont reste en France car il est confiant, peut-être trop car il finira par être dénoncé. Il s’installe dans sa ferme des Baslins à Bazoches-sur-le-Betz laissant derrière lui les locaux de la rue Lauriston abandonnés, en demandant toutefois à Pierre Bonny de détruire les fichiers. Il est accompagné de sa maîtresse, de ses deux enfants ainsi que de Bonny et sa famille. Ils comptaient tous attendre que la situation redevienne normale pour ensuite fuir en Espagne et récupérer une partie du magot accumulé. Toutefois, à ce moment-là, les routes n’étaient plus du tout sûres et un rançonnement était possible. Les FFI réquisitionnèrent leurs voitures, une Bentley et une Jaguar.

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Joseph Joanovici 1905?-1965

Cet imprévu obligea Lafont à envoyer le fils de Bonny à Paris à bicyclette pour obtenir des voitures de Joseph Joanovici. Joanovici, dit le chiffonnier milliardaire, fut agent du Komintern, de la Gestapo et soutien du mouvement de résistance Honneur de la Police. Il livre Lafont et sa bande à l’inspecteur Morin en lui indiquant la ferme.

Le 30 août 1944 au matin, la ferme est encerclée et Lafont et ses acolytes sont arrêtés sans résistance. Cinq millions de francs en liquide, des bijoux, des armes et des papiers sont saisis.

Procès et sentence

Pierre Bonny et Henri Chamberlin, dit Lafont, sont interrogés à la Conciergerie.

Devant le magistrat instructeur, Pierre Bonny avoue tout et cite plus de mille noms impliqués dans l’affaire de la rue Lauriston. Un vent de panique se répand à Paris surtout après la révélation d’un marché noir de faux certificats de résistant.

Le procès commence le 1er décembre 1944 pour finir le 11 décembre. Des personnes témoignent en faveur de Lafont pour service rendu, y compris des résistants pour lesquels il aurait eu une indulgence ou dont il aurait sauvé un membre de la famille. La police retrouve à la ferme, dans un bac à linge sale, 2,5 millions de francs en petites coupures.

Lors du verdict (ils sont tous les deux condamnés à mort), Pierre Bonny est soutenu par les gendarmes alors que Lafont l’accueille avec le sourire aux lèvres, très détendu.

Le 26 décembre, au moment d’être fusillé au fort de Montrouge, Lafont adresse quelques mots à son avocate maître Drieu : « Je ne regrette rien, Madame, quatre années au milieu des orchidées, des dahlias et des Bentley, ça se paie ! J’ai vécu dix fois plus vite, voilà tout. Dites à mon fils qu’il ne faut jamais fréquenter les caves. Qu’il soit un homme comme son père. Il est 9 h 50, Henri Chamberlin dit Lafont est attaché au poteau, la tête découverte et la cigarette aux lèvres.

Dans le livre Marga, Comtesse de Palmyre, Henri Lafont, qui aurait été un temps l’amant de l’héroïne, aurait lancé à son défenseur avant d’être fusillé : « Cela m’est égal de mourir. J'ai vécu dix vies, je peux bien en perdre un précédemment, marchant vers le peloton d’exécution, il aura fait remarquer : on devrait moderniser tout cela envoyer une belle nana, par exemple, à la place d’un curé.

La French Connection aurait été financée par l’argent de la Carlingue par l’intermédiaire d’Auguste Ricord, agent de Lafont, arrêté en septembre 1972, jugé et condamné aux États-Unis.



23/06/2014
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